Mort d’un géant, Lee Kuan Yew (1923-2015)

Les images tournent en boucle depuis lundi matin : Le Premier Ministre Lee Hsien Loong en train d’annoncer le décès de Lee Kuan Yew. Moment chargé d’émotions car tous les Singapouriens le savent : il annonce à la fois la mort du Fondateur du Singapour moderne mais aussi et surtout celui de son Père.

 

From Third World to First

Singapour, ce pays si discret, a retenu pour quelques jours l’attention du monde entier qui s’émerveille sur la réussite économique exceptionnelle de cette île, au travers des portraits de Lee Kuan Yew. Un pays qui, en moins de 50 ans, se sera hissé du tiers-monde jusqu’aux premiers rangs des pays les plus riches de la planète.

Singapore River au début du siècle

Mais l’impact de Lee Kuan Yew va bien au delà des indicateurs économiques flatteurs de la Cité-Etat. Et ce lundi 23 mars 2015, les Singapouriens pleurent la perte de cet homme qui fut un véritable Père pour la plupart d’entre eux.

 

Au Nom du Père

C’est sans doute dans le rôle du Père que Lee Kuan Yew aura le plus marqué de son empreinte la vie des habitants de Singapour. Conscient des problèmes de son époque, mais également des moyens très limités dont il dispose, Lee Kuan Yew va engager une série de réformes.

Tel un Père, sévère mais juste, il va mettre en place de nombreuses lois afin de régler la vie des habitants de Singapour, parfois sans leur laisser la possibilité de choisir. Jusqu’à intervenir dans les sphères les plus privées, ce dont il ne s’est jamais caché.

Lee Kuan Yew sur un chantier

“I am often accused of interfering in the private lives of citizens. Yes, if I did not, had I not done that, we wouldn’t be here today. And I say without the slightest remorse […] who your neighbour is, how you live, the noise you make, how you spit, or what language you use. We decide what is right. Never mind what the people think.”

-Lee Kuan Yew

Comme pour mieux les protéger de dangers qu’eux-mêmes ignorent. Tel un Père il a dû prendre des décisions impopulaires, quitte à provoquer l’ire de ses concitoyens.

“I have never been over concerned or obsessed with opinion polls or popularity polls. I think a leader who is, is a weak leader. Between being loved and being feared, I have always believed Machiavelli was right. If nobody is afraid of me, I’m meaningless”

– Lee Kuan Yew

 

Law & Order

Il fera en sorte d’éviter le communautarisme en mettant en place des quotas ethniques dans les HLM, empêcher les corporatismes qui peuvent bloquer le pays, réguler les religions en accordant à chacune une place, ainsi que de nombreuses autres lois dont la célèbre interdiction du chewing gum (assouplie depuis).

“If you can’t think because you can’t chew, try a banana”

-Lee Kuan Yew

A l’instar d’une relation entre un enfant brilliant et un père autoritaire, l’écrasante majorité des Singapouriens est consciente que ces sacrifices imposés par le fondateur de Singapour ont payé.

Lee Kuan Yew, Père du Singapour  moderne

“I always tried to be correct, not politically correct.” 

– Lee Kuan Yew

En dépit d’une éducation stricte, ils sont reconnaissants des progrès effectués et dont ils bénéficient encore aujourd’hui. Même si cela a parfois été difficile de comprendre la fermeté dont Lee Kuan Yew a fait preuve jusqu’au bout de sa vie.

Les Singapouriens sont conscients de leur réussite, surtout en comparaison de leurs voisins d’Asie du Sud-Est. Ils savent que si certains habitants s’élèvent pour réclamer plus de libertés aujourd’hui, c’est bien parce qu’ils sont au sommet de la pyramide de Maslow et qu’ils le doivent pour une grande partie à Lee Kuan Yew, son gouvernement et ses équipes.

 

Un visionnaire pragmatique

Quel homme politique, avec les moyens de l’époque, aurait pu achever une telle oeuvre ? Lee Kuan Yew n’est pas seulement un visionnaire, c’est surtout un pragmatique, un entrepreneur à l’échelle d’un pays et cet héritage est encore perceptible aujourd’hui.

Vieux plan de Tiong Bahru

Singapour est probablement l’un des rares pays au monde où les lois, les plans d’urbanisme, les programmes politiques,… sont appliqués. Dans un monde où les promesses, les rapports et autre études sont souvent peu suivis d’actions, Singapour fait figure d’exception.

 

Hardworking

Au delà des discours, Lee Kuan Yew a donné à Singapour les moyens de ses ambitions. Mais il a aussi et surtout insufflé cet état d’esprit à la fameuse “pionnier generation” des années 1960 sur laquelle il va se baser pour construire le Singapour moderne.

“Rest on laurels? I wish I could do that. No, you rest when you’re dead”

-Lee Kuan Yew

Infatigable travailleur, Lee Kuan Yew a toujours prôné l’activité. Le travail est une valeur, et LKY a fait de celui-ci la pierre angulaire de la réussite : il faut travailler pour réussir et la complaisance est la pire chose qui puisse arriver.

Lee Kuan Yew

“What I fear is complacency. When things always become better, people tend to want more for less work”

-Lee Kuan Yew

En gouvernant par l’exemple, en supprimant les privilèges et les passes-droits, mais surtout en restant fidèle à sa ligne de conduite, à son état d’esprit. Lee Kwan Yew a une passion dans sa vie : son pays.

Il aura réussi à placer Singapour sur la carte du monde, et à rendre ses habitants fiers de leur pays en bâtissant une nation, là où auparavant se dressait un simple port de pêche et quelques kampongs (NDLA Villages en malais).

 

A l’Ouest, rien de nouveau

Les médias français seront sans doute les premiers à s’extasier de la réussite économique de Singapour tout en pointant du doigt le totalitarisme et les restrictions de libertés qui ont accompagnés cette croissance.

Mais ces sacrifices se sont avérés payants. Or combien de pays ont vu des régimes bien pire que celui de Singapour se mettre en place sans pour autant avoir, ne serait-ce que 10%, de la réussite de la Cité-Etat ?

Peut-être aussi parce que cette réussite dérange : un pays du tiers-monde sans ressources naturelles qui est devenu plus riche que la majorité des pays développés en moins de 50 ans. Les pays du Golfe ont l’excuse du Pétrole, Singapour aura donc l’excuse de la dictature.

Lee Kuan Yew et son épouse Kwa Geok Choo

Comme pour mieux rassurer les français en leur instillant l’idée que cette réussite est uniquement liée à la dictature d’un homme, aussi visionnaire qu’il soit. Et non pas à l’abnégation d’un gouvernement, au travail de tout un peuple et à la passion d’un leader pour son pays.

“Amazingly, throughout most of the contemporary Western world leaders in government require no special training or qualification. 

Many get elected because they sound and look good on television. 

The results have been unhappy for their voters.”

-Lee Kuan Yew

Peut-être aussi parce que la France n’a plus vu d’homme politique de la trempe de Lee Kuan Yew depuis des décennies, de ceux qui sont prêt à tout sacrifier pour leur pays et ne sont pas uniquement guidés par interêt personnel.

Certes tout n’est pas rose à Singapour, mais je ne pense franchement pas que les inégalités soient pires ici qu’en France.

 

Le futur de Singapour

En dépit de la mort de son fondateur, Singapour ne s’est pas arrêtée. Et c’est peut-être la la plus grande réussite de Lee Kuan Yew : avoir su préparer le futur de Singapour, un futur où les Singapouriens devront continuer sans lui. Parce que personne n’est immortel. Parce que personne n’est irremplaçable.

Les habitants de Singapour, orphelin de Lee Kuan Yew

Alors que de nombreux pays d’Asie du Sud-Est ne savent pas comment ils vont gérer la succession d’un monarque ou d’un président, Lee Kuan Yew avait déjà tout prévu. Parce que depuis le début et jusqu’au bout, il aura mené sa vie pour les habitants de Singapour.

 

“I have no regrets.

I have spent my life, so much of it, building up this country.

There’s nothing more that I need to do.

At the end of the day, what have I got?  A successful Singapore.

What have I given up? My life.”

-Lee Kuan Yew

 

Lundi 23 Mars, l’un des derniers géants politiques du XXème siècle s’est éteint.

Et Singapour est orpheline de son Père Fondateur.

Au Revoir et Merci Mr. Lee.

 Lee Kuan Yew 1923-2015

 

N’hésitez pas à (re)lire l’excellent portrait de Lee Kuan Yew par Bernard : Douze mois et un portrait pour une meilleure image de son oeuvre et de sa passion pour Singapour.

Un article sur Les Echos : Lee Kuan Yew, ou les paradoxes de l’Asie triomphante

Un excellent portait : Thank You Mr. Lee by Artgerm

5 Commentaire

  1. « Amazingly, throughout most of the contemporary Western world leaders in government require no special
    training or qualification. Many get elected because they sound and look good on television. The results have been unhappy for their voters. »

    J’adore!!! Si nous aussi on en avait un qui avait cet engagement, cette trempe!!

    • Western leaders only know how to speak with lots of conviction, all fire but no smoke! haha.. makes me laugh….

  2. Salut Louis. J’ai débarqué mercredi en apprenant la nouvelle à la décente de l’avion et le premier truc auquel j’ai pensé c’est : punaise j’ai hâte de lire l’article qu’il va pondre à propos de ce grand monsieur. Bon pour les huit heure de queue je réfléchie encore …

  3. Lee Kuan Yew also said he wanted to be correct, but not politically correct. In the West, it is all about politically correct.

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