Quel avenir pour Singapour en 2030 ? Les conséquences du Livre Blanc

Contexte : Le National Population and Talent Division (NPTD) a publié un Livre Blanc sur les projections de population à Singapour en 2030 : nombre d’habitants, composition,… Tous les sujets ayant attrait à la population sont abordés ainsi que plusieurs scénarios quant au futur de la Cité-Etat.

Cependant de nombreuses zone d’ombres subsistent quant aux chiffres indiqués par le NPTD. Et en dépit du caractère théorique du Livre Blanc (déclaration d’intention plutôt que feuille de route), c’est sur celui-ci que se base les autorités pour la prévisions des infrastructures de l’île (doublement du nombre de stations de métros, mise à disposition de terrains pour la construction de 700,000 logements,…).

Toujours plus de monde sur 714 km²

C’est la mesure la plus discutée (et décriée) du Livre Blanc sur Singapour : le gouvernement prévoit entre 6.5 et 6.9 millions d’habitants sur l’île à l’horizon 2030 (contre 5.31 millions actuellement). Soit une augmentation de 30% en moins de deux décennies dans le cas du scénario à près de 7 millions d’habitants.

Mais surtout, selon les projections, la population étrangère devrait représenter 45% des habitants de l’île contre 38.2% actuellement (et 25% en 2000). Mais ce que cache ce chiffre, c’est qu’en ce qui concerne la population active, la majorité de celle-ci sera vraisemblablement faîte d’étrangers.

Singapour accentuerait donc potentiellement sa dépendance à la main d’oeuvre immigrée. Encore plus radical, en 2030 selon le Livre Blanc, la croissance de la population active serait à plus de 90% le fait de l’immigration contre moins de 10% lié aux citoyens de Singapour  (chart 3.4, page 42). .

En effet la population Singapourienne vieillit et le taux de natalité n’assure pas correctement le renouvellement de celle-ci. En l’état actuel (et si rien n’évolue), la pyramide des âges Singapourienne évolue donc vers un poids plus important des seniors (chart 1.4, page 12).

Des transports en commun déjà saturés

Pour accueillir cette population supplémentaire, les autorités ont bien annoncés une extension très importante du MRT. Or il faudra des années pour construire le métro (livraison des dernières lignes en 2030) alors que la population va augmenter de façon constante jusqu’en 2030.

Les infrastructures actuelles sont déjà à la limite de la rupture. Compte-tenu du coût des voitures, les transports en communs sont la seule option possible pour beaucoup.

Mais comment faire pour accueillir chaque année des milliers d’habitants supplémentaires alors même que le MRT et les bus sont déjà saturées.

L’ouverture de la downtown line au centre-ville en 2013 ne va certainement pas résoudre le problème puisqu’elle ne dessert que l’hyper-centre alors même que les besoins se situent dans les liaisons entre les périphéries et certaines zone très mal desservies (Marine Parade, Upper Thomson Road, Bukit Timah,…).

Plus de nouveaux citoyens ?

En fonction de l’évolution du taux de natalité, et afin de conserver une population majoritairement Singapourienne, le gouvernement prévoit d’accueillir de nouveaux citoyens. Les projections font état d’environ 4 millions de citoyens en 2030.

Il faudrait donc entre 15,000 et 25,000 nouveaux citoyens par an (page 4 du Livre Blanc) qui seront acquis soit via des naissances, soit via des naturalisations (plus ou moins importantes en fonction du taux de natalité donc).

Vu l’évolution du taux de natalité et l’échéance 2030 (c’est à dire demain), et sauf revirement de situation (difficile de changer drastiquement le nombre d’enfants par femme en l’espace de 15 ans), il est fort probable que la croissance du nombre de citoyens se fera via une naturalisation massive.

En ce qui concerne les résidents permanents, leur nombre devrait rester relativement stable (entre 500,000 et 600,000 PR). Etant donné que tous les nouveaux citoyens proviendront du réservoir des PR, il est donc relativement simple de comprendre que le nombre de nouveaux PR sera totalement lié au nombre de nouveaux citoyens (à noter que le nombre de PR chute donc de près de 80,000 nouveaux PR en 2008 à seulement 30,000 en 2011 et donc moins de 25,000 sur la période 2013-2030)

Et pour les étrangers, leur nombre est stable mais là encore c’est une illusion. En fait une partie d’entre eux compensera les PR devenus citoyens en devenant PR à leur tour, donc pour conserver une population étrangère stable.

Singapour va donc continuer à accueillir des immigrés, mais cette immigration sera essentiellement une immigration de travailleurs pour renforcer la population active et surtout elle sera très certainement très contrôlée.

Nouvelles villes : Bidadari, Tampines North et Tengah

Le gouvernement prévoit de faire de la place à près de 700,000 logements neufs (public et privé) afin de loger cette population supplémentaire. Il prévoit ainsi la création de trois nouvelles villes sur le modèle de Punggol mais aussi la densification des quartiers existants en occupant les dernières parcelles de terrains libres.

Conséquence, Singapour a de bonnes chances de devenir un des endroits les plus denses du monde*. Ce qui aura certainement un impact sur la qualité de vie dans la Cité-Etat.

Nouveaux centres d’activités : Sembawang, Seletar, Pasir Panjang et Tanjong Pagar

Outre les deux nouvelles zones d’activités, le gouvernement prévoit également d’étendre les reclaimed lands en créant de nouvelles îles et en agrandissant Marina Bay mais surtout avec une possible île en face d’East Coast Park (oui vous avez bien lu, une île rectangulaire est prévue en face d’ECP).

L’autre question que tout le monde se pose : comment le gouvernement va-t–il faire pour transformer Tanjong Pagar, un des derniers quartiers historiques de Singapour, en centre d’activité. Rasera-t-il les shophouses de Duxton Road pour mettre des gratte-ciels à la place ?

Quant on voit que les cimetières (Bukit Brown) sont remplacés par des autoroutes, il faut se dire que tout est possible en termes de planification urbaine dans la Cité-Etat.

Quel avenir pour Singapour en 2030 ?

Le gouvernement fait le pari qu’avec les nouvelles villes et les nouvelles zones d’activités (ainsi que les transports qui vont avec) la population va mieux se répartir sur l’ensemble de l’île. Mais cela reste un plan théorique. Dans toutes les grandes villes occidentales, le développement des banlieues et villes nouvelles n’a eu que pour effet de renforcer l’attractivité du centre-ville (et de voir les prix de l’immobilier s’envoler)

Singapour réussira-t-elle là où l’Europe a échoué ? Si il est bien un endroit où un tel plan peut réussir c’est bien ici, mais en cas d’échec les conséquences pour la Cité-Etat seraient catastrophiques.

Si Singapour devient comme les autres villes d’Asie du Sud-Est en termes d’urbanisation et perd sa fantastique qualité de vie, alors elle perdrait un de ses avantages par rapport à Bangkok, Jakarta ou Kuala Lumpur pour ne citer qu’elles.

Fiction ou réalité ?

Attention, il ne s’agit que d’un Livre Blanc (White Paper) donc un recueil de prévisions estimées pour 2030 et non pas d’une feuille de route actée (même si de nombreuses choses laissent à penser que ce Livre Blanc va au delà de la simple déclaration d’intentions).

Au vue de la levée de boucliers provoquées par la publication de celui-ci et des très nombreuses zone d’ombre, il est évident que celui-ci a peu de chance d’être appliqué tel quel. Cependant tout laisse à penser que le gouvernement actuel envisage réellement les scénarios évoquées et ‘teste’ la réaction de la population à travers de très nombreuses annonces.

Il évident que les autorités actuelles ont en ligne de mire la General Elections de 2016 et essaye de concilier leur vision à long-terme avec leurs échéances à court terme. Pari impossible à tenir ?

Si vous souhaitez en apprendre plus sur Singapour, lisez le Livre Blanc qui est passionnant et simple à comprendre. C’est d’autant plus facile à lire qu’il y a de très nombreux graphiques très explicites (mais que je n’ai pas le droit de reproduire sur le blog). Ensuite n’hésitez pas à nous livrer vos analyses sur le sujet.

* Singapour est en théorie plus densément que Hong-Kong à l’heure actuelle, mais ce résultat est en trompe l’oeil car à HK les zones urbaines sont beaucoup plus denses qu’à Singapour du fait des montagnes. Qui a eu l’occasion de visiter les deux villes pourra aisément voir que HK est plus densément peuplé que Singapour à cause de la concentration des populations sur les bords de mers.